mardi 27 septembre 2011

Mensonges

Certains disent que dans « traduire », il y a « trahir », qu'un traducteur ne peut offrir qu'un autre regard, son regard, sur les mots d'un autre, qu'il s'y frotte pour la première ou la vingtième fois. Quand je traduis, je me vois plutôt comme une interprète, qui transmet l'essence du propos de l'auteur, mais forcément dans cette nouvelle couche de texte, il y aura un peu de moi également.

Valérie Zenatti, dont j'avais beaucoup apprécié Les âmes sœurs il y a quelques semaines, traduit depuis quelques années les œuvres du romancier et poète israélien Aharon Appelfeld, récipiendaire notamment du prix Médicis en 2004, considéré comme le plus grand écrivain de langue hébraïque contemporain. Fait intéressant, né à Czernowitz (alors en Roumanie, maintenant en Ukraine) mais ayant fui le pays lors de la montée du nazisme, il a choisi d'écrire dans sa « langue maternelle adoptive » plutôt qu'en allemand. Il aurait vraisemblablement pu faire siens ces mots de Zenatti: 
« Mais, par un inévitable mouvement de balancier, l’hébreu, dont je me suis imprégnée pendant huit ans, m’est devenu nécessaire. Il a creusé en moi un espace sensible accessible uniquement avec ses mots, son rythme, sa musique, et dont l’étude me comble. »

La traductrice, l'auteure, qui au fond est demeurée cette petite fille en équilibre entre la France et Israël (où elle a passé son adolescence) voue un énorme respect à l'artiste, mais connaît aussi l'homme pour avoir échangé avec lui. Elle saisit surtout les subtilités de son univers littéraire, ses personnages, son style, car elle s'en est imprégnée à plusieurs reprises. Avec une impudeur doublée d'une extrême tendresse, elle décide donc de transformer l'homme qu'elle admire en personnage d'un roman poétique, qui propose des pistes de lecture (enfance de l'une et l'autre, appropriation de la langue étrangère, sensation de n'être jamais ancré dans un lieu) pour mieux les brouiller.

On suit auteure et multiples doubles pas à pas, en retrait afin de pas trahir le moment à notre tour, troublé par ce récit qui n'a plus rien de l'autofiction, mais devient plutôt un conte philosophique qui nous plonge dans le matériau même de toute entreprise littéraire, le mensonge.

« Ce sont des lettres très anciennes qui contiennent tout. La joie et le mystère, les questions et les réponses, qui contiennent elles-mêmes d’autres questions et d’autres réponses. Je ne sais pas ce qui est écrit ici, mais les lettres m’ont relié à cette chanson que chantait mon grand-père, chaque année au printemps. »

3 commentaires:

Anonyme a dit…

"[...] un conte philosophique qui nous plonge dans le matériau même de toute entreprise littéraire, le mensonge."

Toute la présentation, cette histoire de traduction puis de création, m'avait plu, mais ça, ça me séduit! Tout ce qui tourne autour du mensonge & de sa place dans la fiction, je sais pas pourquoi, mais c'est un thème que j'adore.

(...& je suis arrivée ici en suivant quelques liens, alors bonjour!)

Adrienne a dit…

traduire, c'est interpréter, très souvent... si on peut poser ses questions à l'auteur, c'est bien, sinon... il faut trancher soi-même; et oui, on peut "colorer" ce qu'on traduit... même moi, qui ne traduis que des choses "simples" et en bénévole, je suis confrontée à ce problème d'interprétation et de choix constants à faire

Lucie a dit…

Coeur de camomille: bienvenue ici! Cela m'a permis de découvrir ton blogue. J'y retournerai! :)

Adrienne: la traduction reste un défi constant, qui nous force à nous poser sur une base quotidienne des questions, ce qui, au fond, n'est pas si mal! :)