vendredi 6 avril 2012

Nos vies désaccordées

Il est pianiste classique, elle est peintre. Quand ils se rencontrent dans un atelier de lutherie la première fois, leurs vies ne se croisent pas tant qu'elles se percutent. S'ils ne le réalisent pas alors, il y aura un avant et un après. Quand Sophie plonge dans la folie, incapable d'accepter la douleur indicible qui l'assaille, François accepte la donne, nie la perte, tente de poursuivre sa vie de concertiste respecté, jusqu'à ce qu'il reçoive un courriel d'un aide-soignant qui le force à replonger dans cette histoire, à aller plus profondément au cœur de lui-même, de la musique, celle de Schumann en particulier, lui qui a passé ses dernières années dans un asile psychiatrique, loin de sa Clara bien-aimée, incapable de reprendre un contact réel avec la musique, ne proposant qu'une série d'esquisses douloureuses de transparence.
« Toute entière immergée dans la lave brûlante des Kreisleriana, elle l’écoute jouer pour elle seule, et se perd dans les flots légers et volubiles de l’Arabesque.
Il a ouvert des portes sur d’infinis mystères.
Elle, assise à terre, les genoux sous le menton.
Muette. En larmes.
Il s’interrompt, plus ému qu’elle. Il la console, la fait rire, l’apaise. Il l’embrasse au coin des yeux, là où la peau est la plus douce.
« Tu peux jouer encore? »
Il tremble. Son rêve, au creux de ses mains. »

Gaëlle Josse signe ici un deuxième roman absolument magnifique, que l'on aborde en strates, comme la musique de Schumann qui lui sert de trame subtile, qui nous déroute d'abord (le narrateur semblant d'abord refuser de s'incarner entièrement dans le sentiment de perte), puis nous happe presque subrepticement, tel un dessin mélodique parfaitement transmis, avant de nous déchirer et nous apaiser comme seul peut-être peut le faire Schumann.
« Aimer comme on écrit une icône. On l’écrit avec du temps, du temps infini, avec des couleurs comme du rouge, de l’orange, du brun, avec des traces d’or et infiniment d’amour.
On l’écrit pour se souvenir d’un amour plus fort que le poids des jours, plus fort que ces fragments de mosaïque que nous tentons de rassembler afin que nos vies rencontrent un jour leur visage. Il s’y mêle toutes les larmes et le souvenir des musiques oubliées. »
Je n'attendrai pas très longtemps avant de me plonger dans Les heures silencieuses de l'auteure, dont on a dit le plus grand bien. Merci ému à ma tendre Caro_Carito pour cet envoi.

4 commentaires:

caro_carito a dit…

Le passage sur Bach m'a aussi beaucoup plus, quelques citations couvrent le mur de la salle de percu. :)

Anne a dit…

J'avais beaucoup aimé LEs heureus silencisues ! J'espère aimer celui-ci aussi.

Karine:) a dit…

Tu t'imagines que je ne peux pas résister à ce billet et à ces thèmes, n'est-ce pas. Noté!

Lucie a dit…

Caro: je vois ce que tu veux dire pour Bach, mais je ne l'ai pas noté dans mon fichier. Pour moi, cela relevait trop de l'évidence.

Anne: j'ai Les heures silencieuses pas bien loin. Je n'attendrai pas longtemps pour le lire!

Karine: tu vas aimer, je suis certaine! :)