lundi 11 juin 2012

Utop

Sa plume dépèce, magnifie, cisèle. Marie-Christine Arbour possède une façon unique de manipuler le langage, entre poésie sublimée et objectivité presque journalistique, et manipule les aphorismes avec une minutie de joaillière. « Nous nous sommes connus, oui, un peu comme des gouttes d’eau qui roulent sur une feuille avant de fusionner » ou encore (je devais partager au moins une citation « musicale ») « Mes lèvres forment des mots que la musique efface. C’est comme si j’embrassais la nuit. »

Après avoir dressé un bouleversant tableau d'amours ambiguës (entre un travesti pianiste et une jeune peintre incapable d'assumer entièrement sa féminité) dans Drag, l'auteure propose cette fois une incursion dans la jungle équatorienne, à la fin des années 1970, alors que l'écotourisme n'existait pas, que l'aventure se vivait autrement, que certains citadins oubliaient la routine métro-boulot-dodo en repoussant dans ses derniers retranchements leur zone de confort.

Leucid Roy, suppôt de boîtes de nuit, à la bisexualité trouble et troublée, cherche à fuir, à se fuir. Il n'avait pas prévu qu'il serait happé par la beauté farouche de la jungle, que des dangers réels guetteraient le groupe, qu'il s'attacherait à ce joueur d'échecs désabusé, à ce jeune homme en quête de sens, à cet ancien mannequin, à ce couple qui cherche par tous les moyens à concevoir un enfant. Si on suit d'abord les protagonistes avec un détachement presque anthropologique, on finit par ressentir l'oppression et la majesté des lieux de façon presque organique. Rares sont les auteurs qui réussissent d'aussi étonnante façon à entrer dans la tête de leurs personnages, à les faire vivre de l'intérieur, à nous pousser au questionnement à travers leurs gestes, peu importe s'ils semblent de prime abord à des années-lumière du vécu du lecteur.

« À sa manière, Michel sait que la vie est théâtre, que le théâtre est un rêve, que le rêve est l’envers de la vie. » Un très puissant voyage aux confins de soi, de l'autre.

On peut lire un extrait du roman ici...

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